27 mars 2023

L'évènement.

J'avais fini de corriger mes copies. Je re- voyais continuellement la même scène, floue, d'un samedi et d'un dimanche de juillet, les mouvements de l'amour, l'éjaculation. C'était à cause de cette scène, oubliée pendant des mois, que je me trouvais ici. L'enlacement et la gesticulation des corps nus me parais- saient une danse de mort. Il me semblait que cet homme que j'avais accepté de revoir avec lassitude n'était venu d'Italie que pour me donner le sida. Pourtant, je n'arrivais pas à établir un rapport entre cela, les gestes, la tiédeur de la peau, du sperme, et le fait d'être là. J'ai pensé qu'il n'y aurait jamais aucun rapport entre le sexe et autre chose.

Annie Ernaux, L'événement.

23 mars 2023

C'est non.

Je suis jeune ouais, mais je ne suis pas éternelle. Et je ne suis pas toute seule.
Mes parents, eux, sont moins jeunes. Mes collègues de travail sont moins jeunes. Certains de mes copains sont moins jeunes. Nous vivons en société : nous côtoyons tous les jours ceux qui vont devoir travailler deux ans de plus, nous en faisons partie. Tu te rends compte que ça représente quand même 24 mois ? 720 jours ?! Tu te rappelles de tes 24 derniers mois ? C'est long, n'est ce pas ? Imagine comment c'est plus long à 60 ans...

12 mars 2023

Rebonjour.

Elle est là. Elle vient de se planter là comme un bambou qui a germé et qui a déjà ses racides profondément enfoncées dans la terre. Elle est là, comme chaque année au printemps. Elle pousse dans la partie gauche de mon crâne, derrière l'oeil et respire au rythme de mes battements cardiaques comme les feuilles qui bougent au gré du vent. Elle ressemble un peu à celles qui arrivent après une énorme cuite, mais celles-ci se dissipent au bout d'un Doliprane et quelques heures. Les migranies, elles, s'installent dans les vaisseaux sanguins comme des parasites, et nidifient longtemps, parfois plusieurs jours. La nausée s'annonce et on oublie que manger ou regarder ce qui se passe autour de soi puisse apporter du plaisir. On chasse à grand peine les pensées de vouloir se jeter du balcon, pour s'assommer durant deux jours, le temps que ça passe. Le cerveau est comme attiré vers l'extérieur de la boîte crânienne par un aimant, qui se situerait sur la trajectoire de la planète Terre en mars et octobre... Je l'imagine ressemblant à un flocon d'avoine mis dans l'eau et bouffi par l'humidité.
Ce n'est presque pas comme de la douleur. C'est quelque chose qui se situe entre la plainte, l'usure, le gonflement... C'est pas une accalmie qu'on souhaite, mais une ablation, un étouffement. Il n'y a absolument rien qui puisse faire oublier sa présence et par moments on arrive à se concentrer sur ce qu'on doit faire - mais jamais ça ne disparaît, jamais l'étau ne se desserre. Ça dure des heures qui passent comme des semaines. Et quand enfin elle part, je me rappelle : c'est presque imperceptible car le corps a mis tellement d'énergie à survivre à cette constante torture que l'épuisement ne laisse que très peu de place au soulagement. 

Bref, nous sommes bien au début du printemps.