29 mars 2021

Les nuits silencieuses.

 C'est peut-être la pleine lune. Mais j'ai senti des griffes noires me broyer l'estomac et m'enserrer la gorge. Lorsque l'année dernière il ne me donnait pas de nouvelles c'était pour se glisser dans les cuisses d'une autre, s'enivrer avec d'autres sourires, rire avec d'autres voix, danser avec d'autres bras ; en somme, me fuir, m'oublier.

   J'ai couru et rampé après lui en m'esquintant les genoux et le cœur durant douze mois. J'ai crié colère et désespoir dans le vide, car il coupait son téléphone et c'est comme s'il me mettait une pomme dans le gosier, comme à un porcinet rôti étalé sur un plateau. J'ai les émotions qui ont débordé de mes yeux et de mes oreilles tant de fois que mes interstices sont devenus des crevasses, lacérées par les larmes, par la peine, la solitude, le déni. J'ai eu envie de me barioler de dents de scie, de lames de cutter, d'étaler ma cervelle en bas de ma fenêtre. Je me suis jurée, ô combien de fois de ne plus jamais accorder autant d'importance que je lui ai accordé à lui.

   Et puis il y a des soirs où il ignore mes messages et où l'insupportable film de l'année dernière me revient en tête : je l'imagine poser ses mains moites sur les larges hanches crémeuses de son amante, de frôler ses lèvres avec les siennes, de lui dire des mots que j'aurais aimé qu'il me chuchote à moi. Je le visualise en train de s'enfouir dans ses cheveux noirs et de ne surtout par regarder son téléphone qui se déchargeait un peu plus à chaque message que je lui envoyais. J'imagine ces quantités de bières qu'ils ont bu ensemble, leurs rires puis leurs accolades qui se transformaient au fur et à mesure de la soirée en enlacements puis en baisers.

   Le lendemain, il devait ouvrir les yeux, tourner sa tête sur l'oreiller, apercevoir une chevelure endormie et durant un instant se demander si c'était elle ou moi, car l'alcool de la veille lui avait brouillé les souvenirs. Il remettait ses vêtements, ceux-là même que j'avais lavés au lavomatic quelques jours auparavant, lui faisait le même baiser qu'à moi lorsqu'il partait de chez moi, avec un sourire et un promesses : celle de recommencer. Puis il arrivait chez lui, rallumait son téléphone et m'écrivait innocemment qu'il venait de se réveiller et qu'il était fatigué hier soir.

   Alors, toute la journée, je me demandais comment lui rendre sa soirée plus douce, auprès de moi, quelles choses il aimerait manger, quel vin il aimerait boire en ma compagnie. J'étais tellement aveuglée par son bien être, que j'oubliais son silence de la veille, je ne pouvais pas du tout imaginer un seul instant que hier soir, il répétait le même rituel macabre et honteux de me mentir en allant se glisser dans les cuisses d'une autre.

   Je m'endors avec ces scènes et ces images une nuit sur deux, et j'aurais aimé qu'elles occupent toutes les nuits pour arriver à le haïr ; simplement, l'autre nuit sur deux, je crois en les mots doux et les promesses qu'il m'écrit et me chuchote, alors j'attends, patiemment, son amour et son attention qui ne viennent pas, et j'oublie qu'il faut penser à soi, avant de penser à lui.


13 mars 2021

Sous l'aile du dragon.

Je n'entends pas la cloche de l'église tinter à huit heures du matin. C'est la voix chantante avec l'accent du sud de l'infirmière qui me réveille. J'entrouvre les yeux : la chambre est jaune et multicolore, il y a plus de jouets que de couleurs, et Mattia ouvre la porte pour me réveiller en se moquant de moi. J'entends Titi me crier qu'elle fait mon café. J'émerge du lit, j'ai dormi quatre heures, de suis pâteuse, on me demande quelle confiture je veux. Je jette un oeil sur l'étagère du beau buffet en formica et choisis ma préférée parmi les quinze pots qu'a faits Coco. Melon-orange, étalée sur du pain frais que Titi a acheté tout à l'heure à Valérie, la boulangère, en allant promener les chiens. 
Mattia est irrité, moi je prends un Guronzan, on écoute France Culture en finissant le pot de confiture à la petite cuillère. J'ai mon leggings léopard, je pioche une bédé dans leur bibliothèque et je me mets dans un fauteuil près de la fenêtre où il y a cette jolie orchidée et le Luberon qui bronze somnolant. J'engloutis rêveusement les pages, puis Titi demande si on va à Esparron, au Saut du Moine, ou à Buoux. Deuxième option.
J'enfile mon jeans sur le léopard, un pull en plus, j'installe des lunettes de soleil sur ma protubérance, enroulé mon écharpe sur mon cou frileux et on oublie la laisse du chien en allant à la voiture alors les deux humains se chamaillent un peu. La voiture est garée à huit mètres de la maison, alors ça va. Je m'asseois devant, je parle fort, je regarde l'église et les maisons en pierre par la fenêtre.
À la rivière, l'eau est gelée. Je le sais car j'y ai mis les pieds en faisant une story Instagram. Je fais des photos mais elles ont toutes la même couleur sur mon écran de téléphone : la pierre est beige et jaune et la garrigue est verte et grise, quant au soleil, il mord assez pour se dénuder les bras. Je m'allonge sur une pierre glacée, on entend les chiens faire des bêtises, Titi essaie mes baskets et le soir on ira voir si elle peut les commander sur internet. Ils ont fait tomber le briquet dans un trou d'eau, Mattia peste, et moi je grimpe sur la pierre friable pour faire semblant de faire de l'escalade. On voudrait se baigner mais ne pas avoir froid et puis il y a un nuage un peu gris qui arrive alors sans rien se dire son remet nos pompes, nos manteaux et on prend nos cliques et nos claques. 
Au retour à la voiture Mattia nous enseigne d'un air condescendant ce qu'il faut faire si l'on croise un sanglier. Je ris un peu et ça me fait penser à Princesse Mononoké. Le problème c'est que même si l'on monte sur un arbre on ne pourrait pas monter les chiens. On espère rentrer en vie...

Je m'avachis dans le canapé, Mattia part acheter des clopes, une bière juste pour moi et des citrons. Titi appelle sa mère et moi je lis ma bédé en buvant du thé au jasmin apparu comme par miracle. Parfois, je donne des précisions à Coco au téléphone, puis Mattia rentre avec une bière d'enfer pour moi, on roule un premier pétard.

La fin de la béde est pas impressionnante, alors on parle et puis il est 18h18, et les chiens n'ont pas fait leur deuxième balade. Avec Titi et les huit pattes poilues, on sort voir le coucher du soleil. Il caresse les écailles du Luberon, qui sont roses et turquoises, on joue avec les chiens dans les feuilles mortes sur le terrain d'une grand propriété sans clôtures. Une Jeep passe, c'était le seul bruit humain croisé en vingt minutes. En passant par le centre du village on discute cinq minutes avec Alex, qui balade son grand boxer, elle a la soixantaine et travaille à Rustrel au Colorado Provençal. Elle prévient que Hor, la chienne, a déjà mangé la gamelle du chat de la voisine, donc que Aphaïa et Iago ne comptent pas dessus..!
Il fait mauve et gris quand on rentre. J'enlève mon jeans, je fiche mon pull sur une des chaises en chêne massif et Titi me demande si je veux faire des lentilles marrons, des lentilles vertes ou des lentilles corail. La bière est délicieuse : médaille de bronze au festival mondial de la bière de 2020. On est quatre sur le canapé, et ce sont les chiens qui ont la meilleure part. On zieute un reportage de Mediapart, et je demande à Titi qui du capitalisme ou du patriarcat est le plus dévastateur. Les lentilles sont delicieuses. À la balade, en rentrant, on a arraché un branche de romarin frais, qu'elle a fichu dans la marmite. Juste ça, du sel, des oignons, de l'ail et des carottes. C'est un délice.
Mattia nous a acheté des chocolats en forme de petit oeufs de Pâques, Titi ouvre le paquet pour le dessert. 
On roule un cinquième pétard environ, on va dans la chambre où je dors et on parle de déplacer le lit contre l'autre mur. On pioche quelques livres pour enfants de Ponti avec de beaux dessins et une histoire qui a l'air d'avoir été écrite sous acide. Titi la lit à voix haute, on fume et je sirote ma bière, avachies toutes les deux sur le lit une place. On pouffe de rire comme des oies. Quand on retourne dans le salon on veut remanger des chocolats mais on en a englouti tellement qu'il n'en reste plus que quatre. On parle de mes cheveux qu'on va couper demain, du prénom de leurs futurs enfants, du poêle à bois qui est trop chaud et de Josiane Balasko. On roule le troisième dernier pet, on rit mais je suis un peu deg car Titi ne me laisse qu'un seul chocolat.

Les chiens respirent fort en dormant près de moi sur le canapé. Les deux humains, en haut, dorment ou font l'amour et moi j'écris un marque page de cette journée car elle a été colorée et que les arc-en-ciels sont rares dans la vie en ce moment.

12 mars 2021

Balottements.

Il y a des nuit où je me noie si profondément que j'oublie dans quelle direction il faut aller pour remonter à la surface.

06 mars 2021

La pousse.

Bonsoir douceur,

J'écrie ton nom
J'épelle ton derme
Je creuse ta peau
J'orne tes commissures
Tu fissures mes peurs
Je lacère mes angoisses
Tu m'offusques le coeur
Je lamente tes absences
Tu suffoques mes oublis
Je t'interdis mes rêves
J'envie ton existence
Tu crèves mes malheurs
J'envole mes espoirs
Tu termines mes nuits
Je commence à croire
Mais tu décrois vite
Tu m'effraies chaque soir

Je me jette dans le vide