23 avril 2022

Le vol d'Icare.

ICARE
Pardon, monsieur, puis-je vous adresser la parole?

MECANICIEN
Voilà qui est fait.

ICARE
C'est bien là n'est-ce pas une voiture qui marche sans chevaux?

MECANICIEN
Oui-da. Cette voiture marche sans chevaux, aussi l'appelle-t-on voiture automobile.

ICARE
Et comment marche-t-elle ?

MÉCANICIEN
Grâce à la fée Électricité.

ICARE
Donnez-moi, je vous prie, d'autres détails.

MÉCANICIEN
Jeune homme, vous avez raison de vous intéresser à cela car Cela c'est l'avenir. Bientôt nous atteindrons le 40 km à l'heure, vitesse qu'il sera difficile de dépasser. On ira au Havre en cinq heures, à Marseille en une journée. Je vois dans l'avenir des bornes électriques le long des routes où l'on rechargera les accus. Car je suis pour l'Électricité et le Progrès. Ne me parlez pas du pétrole. Regardez-moi cela.

Passe une voiture qui dégage beaucoup de bruit et des gaz puants.

MÉCANICIEN
Non, ne me parlez pas du pétrole, cela fait du boucan, ça empeste, ça explose jamais le client n'en voudra. Et puis si le nombre de voitures automobiles augmentait, il n'y aurait pas assez de pétrole dans le monde, c'est moi qui vous le dis.

ICARE
Tout cela me paraît digne d'attention.

MÉCANICIEN
Non croyez-moi, la voiture électrique c'est l'avenir. 


Raymond Queneau, Le Vol d'Icare, 1968.


09 avril 2022

Je tu(e).

J'ai tes chemises sur l'étendoir ; et tu me manques déjà. Je ferai quoi, après ? Avec mon égoïsme, mes Xanax, mes cinquante heures de taff par semaine, mes gueules de bois ? Je vais attendre quoi après que tu ne m'aimes plus, après que papa radote, après que mamie pleure, après que je titube chaque vendredi soir ? Après que les hirondelles aient assez chanté, après que je te dise que je ne pourrai jamais. Jamais être ce qu'on conçoit comme réconfortant, sain, normal. Tu me manques déjà.
Parce que je ne te l'ai jamais dit, parce que c'est trop ivre pour moi, désormais, ces choses de oui à jamais, ces palabres contraignantes et borgnes, ces mots doux et faux. Je ne désirerai jamais que tes fesses, je ne daignerai jamais d'autres bras, jamais plus il me semble je pourrai avaler ça, tu sais. Et c'est quand même je t'aime. C'est quand même comme ça, c'est quand même fou, je ne suis pas désolée même si je te le dirai, je ne le suis pas. Parce que il faut que le parfum de mon corps soit celui que tu désires. Et tu ne désireras pas ces mots-là.
Bonne nuit, tu me manques déjà.

05 avril 2022

Les ruelles de Montpeul'

 Il était cinq heures. Tu as apporté le vieux pépère dans la salle de bain pour me le montrer ; tu l'as réveillé dans le lit de ta mère - qui, elle ne s'est pas réveillée, fort heureusement. 

Il avait l'air mouillé. Mouillé d'années de bonheur de chat.

Nous-même, nous avions fait trempette dans un bain à 5h du matin. Dans mon souvenir on gloussait et des bulles de savons nous sortaient par la bouche. Les nuits sont mousseuses avec toi.