29 décembre 2020

Déramifiée.

Papa part et revient et je n'attends rien mais les regrets sont des épines qui poussent sur des tiges de silences.
Je suis un chardon, grise et grande et les soleils me crèvent depuis l'outre-tombe
je fléchis et je flanche, et tout le monde entend le vent qui me fait frissonner
Mais mes fibres se craquent et je finirai en poussière 
Et je finirai en colère
Et je finirai fière
dans un pot de fleurs séchées.

23 décembre 2020

L'esprit défaite de fin d'année.

C'est un Noël où ce n'est pas de la neige qui tombe mais des flocons de larmes
La météo est clémente mais j'ai froid jusqu'au fond du coeur
Une avalanche matinale a enseveli tous mes espoirs
Tu as lâché ma main alors que je me relevais tout juste
Je suis glacée par le chagrin
Et mon bonheur a fondu comme une glace au soleil

Je pensais que les saisons changeaient mais c'est l'automne depuis un an et bientôt viendra l'hiver
Je suis toujours cette enfant qui cherche la lumière
Celle que tu allumes depuis trois ans dans mon ventre avec un simple sourire
Et que tu éteins avec une phrase écrite sans ménagements

Ça clignote dans mon cœur, c'est la tachycardie et j'ai peur de ne plus savoir respirer

Comment fait-on pour rester seule dans le noir ?

20 décembre 2020

Matisse.

Allégorie de 2020.
Diptyque de Matisse.


Henri Matisse
Porte-fenêtre à Collioure, 1914
Centre Pompidou, Paris


Henri Matisse
Intérieur, bocal de poissons rouges, 1914
Centre Pompidou, Paris

18 décembre 2020

Une prière pour Owen.

Tous les jours ici, il y a deux sujets de discussion : que va-t-on manger et qui va se rendre en bateau jusqu'au port pour acheter la nourriture et les articles de première nécessité. Voici la liste des achats de base :
          essence
          piles
          pansements adhésifs
          maïs (s'il y en a)
          bombe antimoustiques viande hachée et petits pains (en quantité)
          oeufs
          lait
          farine
          beurre
          bière (en abondance)
          fruits frais (s'il y en a)
          bacon
          tomates
          épingles à nourrice (pour Prue)
          citrons
          appâts vivants

Je laisse les plus jeunes enfants me montrer comment ils savent piloter un canot. Je laisse Charlie Keeling m'apprendre à pêcher ; je m'amuse beaucoup à attraper des perches - un jour par an. Je participe à tous les travaux urgents ou prétendus tels : les Ormsby ont besoin de reconstruire leur pont, les Gibson remplacent des bardeaux sur le toit du hangar.

Chaque jour, je me porte volontaire pour aller au port; faire le marché pour une grande famille est un régal, sachant que c'est pour peu de temps. J'emmène un gosse ou deux avec moi, car leur joie à piloter le canot me fait plaisir. Et je partage régulièrement ma chambre avec l'un des petits Keeling - ou plutôt c'est l'enfant qu'on oblige à partager sa chambre avec moi. Je m'endors en écoutant l'étonnante complexité d'une respiration d'enfant endormi, le cri d'un palmipède sur la mer obscure, le clapotis des vagues sur le rivage. Et le matin, longtemps avant que l'enfant ne s'agite, j'écoute les mouettes et je revois la camionnette rouge sillonnant la route côtière entre Hampton Beach et Rye Harbor ; j'entends les cris rauques des corbeaux batailleurs, dont les harangues stridentes me rappellent que je viens de m'éveiller dans le monde réel, le monde que je connais, après tout.

Pendant un moment, avant que les corbeaux n'entament leurs croassantes disputes, je peux imaginer qu'ici, à Georgian Bay, j'ai découvert ce qu'on appelait jadis le Nouveau Monde, que je viens de débarquer sur le territoire vierge que Watahantowet vendit à mon ancêtre. Car, à Georgian Bay, il est possible d'imaginer l'Amérique du Nord telle qu'elle était avant que les États-Unis ne commencent à tout saccager avec leur cruelle imprévoyance.

John Irving, Une prière pour Owen.