Gabriel Garcia Marquez - Cent ans de solitude
26 juillet 2021
Cent ans de solitude.
La maison baigna dans l'amour. Aureliano l'exprima en poèmes sans début ni fin. Il les rédigeait sur les parchemins rugueux dont Melquiades lui faisait cadeau, sur les cloisons des bains, sur la peau de ses bras, et partout, transfigurée, apparaissait Remedios : Remedios dans l'atmosphère soporifique de deux heures de l'après midi, Remedios dans la respiration feutrée des roses, Remedios dans le secret clepsydre des perce-bois, Reme dios dans la vapeur du bain à l'aube, Remedios de toutes parts et Remedios à jamais. Rebecca attendait l'amour vers quatre heures de l'après-midi, brodant près de la fenêtre. Elle savait que la mule du courrier ne passait que tous les quinze jours mais elle ne cessait de l'attendre, persuadée qu'un jour ou l'autre, elle allait arriver par erreur. C'est tout le contraire qui se produisit : une fois, la mule ne vint pas à la date prévue. Folle de désespoir, Rebecca se leva au milieu de la nuit et s'en alla au jardin manger des poignées de terre avec avidité, à s'en faire mourir, pleurant de douleur et de rage, mastiquant la chair tendre des vers et se brisant les molaires sur les coquilles d'escargots. Elle vomit jusqu'au petit matin. Elle sombra dans un état de prostration fébrile, perdit connaissance et son cœur s'épancha en divagations sans pudeur. Ursula, scandalisée, força la serrure de la mal lette et trouva tout au fond, nouées de faveurs couleur de rose, les seize lettres parfumées, les squelettes de feuilles et de pétales conservés dans de vieux livres et les papillons naturalisés qui, au premier contact, se changè rent en poussière.