11 janvier 2021

Cata combe.

 J'avais oublié à quel point les mots sortent de moi comme du jus de citron quand je suis déchirée. A quel point ma mémoire redevient vivace et tortueuse, quand j'ingurgite goulument des canettes de bière, des fonds de vodka en tremblant de solitude et de douleur quelque part dans un angle de ma tanière.

Comment les mots me manquent quand le philtre d'amour m'embrume les yeux, comment je suis muette et sourde à cette viscérale douleur qui remplit ma poitrine de plomb et me la fout dans l'estomac. J'avais oublié comment je suis ivre, de toute la tristesse de mes espoirs. Comment je suis grincheuse et affamée de folie. Comment je suis dangereuse, soumise à l'addiction et à l'autodestruction. 

Elle me l'a dit, Anne : "j'ai l'impression que tu fais exprès". J'ai ce sentiment aussi. Que elle fait exprès. Cette pauvre peau épineuse pleine de crevasses que je mets à l'envers pour qu'on ne s'approche pas de moi quand je suis seule. Je consomme mes sanglots, je cultive ma faim, je m'arrache la gorge en fumant quand la neige devrait tomber. J'ai envie de tomber avec elle. J'ai envie d'avoir mal, si mal, autre part que dans le creux de la poitrine, qui s'est recroquevillée comme un pruneau. 


Ca n'ira pas mieux. C'est pas allé mieux en 2012, quand j'ai soufflé sur le pissenlit de ce que je croyais être mon bonheur éternel. Ca n'ira pas mieux en 2021, où c'est moi qu'on a soufflé comme un tas de poussière. 

J'empile les ossements. Je fais un tas avec les tibias, les vertèbres et les phalanges des personnes qui m'ont bouleversée, et ce tas est plus grand que moi. Et j'empile et j'empile et j'empile et ça finit par s'écrouler sur moi. Je finis ensevelie. Je finis plus bas que terre. Un jour, sans doute, je finirai morte, avec tous ces souvenirs creux qui me tomberont dessus. Je ne sentirai rien, car je mourrai sur le coup, tellement il y aura eu de beaux chagrins qui me passeront sur les épaules.