Je rentre du travail et la sensation que j'éprouve au niveau de la plante de mes pieds me fait me sentir lourde, moite et fragile. Je suis restée debout les trois quarts de la journée, droite, hiératique, souriante, presque minaudeuse, les yeux agités par d'incessants mouvements saccadés : vérifier les tickets, indiquer les toilettes, regarder dans les yeux, revérifier les tickets, montrer où se gare la navette, où se donnent les manteaux, où se prend l'ascenseur. Je fais des allers retours entre les regards interrogateurs et les objets réponses de leurs désirs, comme une machine. Lorsqu'enfin, le soir, je franchis la porte de mon appartement, j'enlève rapidement en vrac tous mes vêtements et je grimpe sous la douche. Je fais couler de l'eau glacée sur mes pieds endoloris en attendant qu'elle tiédisse, doucement. Je ne me douche pas vraiment, je me laisse simplement glisser dans cette couverture liquide qui m'enlève la sensation rêche et artificielle laissée sur ma peau par mon uniforme. Une fois sommairement séchée, je m'étale nue sur le lit, dans cette position horizontale indescriptiblement apaisante après cette longue journée.
Je suis nue, encore humide et chaude de la salle de bain. C'est alors que je prends le temps durant quelques minutes de regarder mon corps. Mes yeux s'arrêtent d'abord sur le volumineux bourrelet de mon ventre que dévale mon nombril, je scrute ensuite mes cuisses en m'étirant le dos, puise j'inspecte mes mollets. Je me pince la peau, gronde les quelques poils, frotte la peau sèche. J'examine ensuite mes tatouages, comme pour voir s'ils sont toujours en place, s'ils sont toujours à moi. Je déboîte un peu mes épaules et me gratte un peu le dos de part et d'autre de la colonne vertébrale. Je fais le tour de moi-même, le tour de cette carcasse de travail qui abrite mes émotions depuis vingt-six années.
La voyant toujours fonctionnelle je m'apaise un peu. Je ferme les yeux. Tu apparais inévitablement derrière mes paupières : ta douceur, ton haleine, tes phalanges, la barbe sur tes joues, les courbes de tes vertèbres, les ovales de tes genoux, la mollesse de tes fesse, l'arabesque sucrée de tes oreilles, le creux de ta nuque, les continents de tes bras. Je te pense ensuite, à ton tour, scruter mon corps, mon corps que j'utilise par nécessité et habitude, et que toi tu effleures et que tu observes avec tendresse et désir. Je pense à la paume de ta main qui pourrait se poser sur mon flanc, mon vaste abdomen ou le dessous de mon aisselle. Je me remémore de ton nez penché sur mon thorax, ton regard plongeant dans mes tétons. Je pense à l'infinie douceur avec laquelle tu exécutes des volutes d'amour sur mon épiderme, à tes lèvres qui me serrent, à tes doigts qui m'enlacent et à ton menton qui se love dans mon cou. C'est seulement là que je me rappelle à quel point je suis bien plus qu'une architecture osseuse enroulée dans de la peau, chevelue çà et là. Je regarde alors mon corps, de haut en bas, depuis le haut de mes seins jusqu'à mes orteils, et je sens ton regard me faire vibrer chaque poil, faire frémir chaque pore. Le seul souvenir de ta présence me fait me sentir vivante, d'un seul coup, comme si j'étais un grand et bel arbre, et que des feuilles jusqu'aux racines je sentais un torrent de sève me parcourir.
J'ignore si beaucoup de personnes ont au cours de leur existence rencontré des gens qui les font sentir ainsi. Je t'ai toi, et je n'aurai plus jamais besoin de quelqu'un d'autre, je sens chaque jour qui passe que tu m'arroses et m'illumines comme le soleil et les nuages ; et je grandis ainsi chaque jour plus heureuse et plus aimée que la nuit qui a précédé, et chacune de mes branches pousse dans la direction de nos futurs, ciel de mon bonheur.
Je suis nue, encore humide et chaude de la salle de bain. C'est alors que je prends le temps durant quelques minutes de regarder mon corps. Mes yeux s'arrêtent d'abord sur le volumineux bourrelet de mon ventre que dévale mon nombril, je scrute ensuite mes cuisses en m'étirant le dos, puise j'inspecte mes mollets. Je me pince la peau, gronde les quelques poils, frotte la peau sèche. J'examine ensuite mes tatouages, comme pour voir s'ils sont toujours en place, s'ils sont toujours à moi. Je déboîte un peu mes épaules et me gratte un peu le dos de part et d'autre de la colonne vertébrale. Je fais le tour de moi-même, le tour de cette carcasse de travail qui abrite mes émotions depuis vingt-six années.
La voyant toujours fonctionnelle je m'apaise un peu. Je ferme les yeux. Tu apparais inévitablement derrière mes paupières : ta douceur, ton haleine, tes phalanges, la barbe sur tes joues, les courbes de tes vertèbres, les ovales de tes genoux, la mollesse de tes fesse, l'arabesque sucrée de tes oreilles, le creux de ta nuque, les continents de tes bras. Je te pense ensuite, à ton tour, scruter mon corps, mon corps que j'utilise par nécessité et habitude, et que toi tu effleures et que tu observes avec tendresse et désir. Je pense à la paume de ta main qui pourrait se poser sur mon flanc, mon vaste abdomen ou le dessous de mon aisselle. Je me remémore de ton nez penché sur mon thorax, ton regard plongeant dans mes tétons. Je pense à l'infinie douceur avec laquelle tu exécutes des volutes d'amour sur mon épiderme, à tes lèvres qui me serrent, à tes doigts qui m'enlacent et à ton menton qui se love dans mon cou. C'est seulement là que je me rappelle à quel point je suis bien plus qu'une architecture osseuse enroulée dans de la peau, chevelue çà et là. Je regarde alors mon corps, de haut en bas, depuis le haut de mes seins jusqu'à mes orteils, et je sens ton regard me faire vibrer chaque poil, faire frémir chaque pore. Le seul souvenir de ta présence me fait me sentir vivante, d'un seul coup, comme si j'étais un grand et bel arbre, et que des feuilles jusqu'aux racines je sentais un torrent de sève me parcourir.
J'ignore si beaucoup de personnes ont au cours de leur existence rencontré des gens qui les font sentir ainsi. Je t'ai toi, et je n'aurai plus jamais besoin de quelqu'un d'autre, je sens chaque jour qui passe que tu m'arroses et m'illumines comme le soleil et les nuages ; et je grandis ainsi chaque jour plus heureuse et plus aimée que la nuit qui a précédé, et chacune de mes branches pousse dans la direction de nos futurs, ciel de mon bonheur.