31 janvier 2019

Mes ongles ont la peau dure

Je suis
cramée brûlée hors de contrôle
je vais me rôtir comme une poulette
pour toi
pour tes aises
pour tes paranos
Pour nos adreurs trop cuites.
Je suis la fille merveilleuse qui ne t'appartient
que quand je ris
Tu n'aimes que notre volupté ; tu ne préserves
que notre intégrité

Tu engendres un nouvel organe au creux de mon diaphragme qui diffuse rapidement de son taux d'acidité - l'huile essentielle de ma détresse - à tous ceux qui me font sentir vivante quand je frôle ton existence.
Mon coeur suffoque ;
mes poumons crampent ;
mes yeux se floutent ;
mes mains tremblent ;
mon ventre s'effrite ;
mes genoux me lâchent ;
mon foie gonfle ;
mes reins flanchent ;
mes dents grincent ;
mes joues se campent :
mon corps s'effondre comme une vieille tombe.

Je m'effondre, donc : face à la plus petite de tes incertitudes
Godzilla de ma vie, tu fais trembler ma frêle structure
J'ai vingt six ans et quand tu m'écris trois mots de travers j'ai le Parkinson et l'Alzheimer.

Sais-tu ?
Je te serai fidèle comme une vieille chienne aveugle,
Tant que tu me caresses deux fois par jour dans le sens du poil,
Tant que tu me diras ces mots doux,
Tant que tu me laisseras dormir à tes pieds.

Suis-je si fugueuse pour que tu me laisses ?
Suis-je si joueuse pour que tu me fasses courir ?
Suis-je si chienne pour que tu me fasses subir ?

Je fais une guerre d'un carambolage
Je crise d'un mot, tu m'uses d'une phrase
;
Éreintée de mon inassurance
Je ne suis l'ombre que de tes évidences

Je me barricade de tes mégères
Je fais pousser mes larmes comme de la fougère
Vilaine cicatrice de vide qu'on laissés les automnes où tu t'es absenté de ma vie
Tu me sèmes d'amour
Tu ne recueilles que la colère.

Je ne suis qu'ombre d'un nuage
l'écho d'un vague frémissement
l'image vieillie d'un mauvais voyage...
Indélectable désistement.

Tu es la crinoline de mes espérances
Le jupon de mes futurs
L'enveloppe de mes envies rances
Le précipice de mes investitures.

Tu es
Les lettres qui composent l'alphabet de ma cénesthésie
Alors,
N'éventre pas les recoins de nos synesthésies...

Je suis tienne
Je suis vilaine
Je suis infecte, épouvantable :ignoble et exécrable ! Je suis monstre, je suis laide, je suis fade je suis bête. Je suis hideuse, je suis féroce, je suis instable, je suis frileuse.

Je suis borgne de tes états
Et aveugle de nos alégresses
Je suis - mais surtout : je ne suis pas -
Quand tu me mêles à ta détresse.

Je suis terrible ! :
plus que tout
quand il s'agit
de notre amour.

Croque moi et je m'enroue pour que l'on fasse
demi-tour

Beige Mitterrand.

La première fois que j'ai rencontre l'expression "beige Mitterrand", c'était sous la plume de Frédéric Dard, dans l'un de ses romans de la série des San Antonio. Son héros fétiche, celui qui contribuait à porter les tirages au-delà des 500 000 exemplaires, Alexandre-Benoit Bérurier, était vêtu d'un imperméable qualifié de "beige Mitterrand" ; il était en outre maculé de graisse, comme souvent. Par la suite, au début des années 1990, j'ai retrouve cette même expression dans d'autres contextes et chez d'autres auteurs. Il s'agissait d'une pure expression chromatique sans aucune portée politique ni dimension argotique ou populaire, encore moins journalistique ; une expression authentiquement littéraire, presque savante et vraiment superbe.
J'ignore si Frédéric Dard en est l'auteur - je sais qu'il fut un proche du président, à qui pourtant il ne ménageait guère ses critiques - mais je suis à peu près certain que cette expression faisait allusion à la couleur d'un costume d’été que François Mitterrand porta pendant au moins deux saisons : un costume léger, en lin ou en toile, pas très bien coupé et d'une nuance de beige qui ne lui allait absolument pas. L'ancien président de la République n’était du reste pas fait pour les tenues recherchées ou officielles, encore moins quand il s'agissait de tenues d’été. Lui qui était solide et imposant en tweed ou en velours devenait emprunté et ridicule dans des tenues trop claires et des tissus trop fins. Il est étrange que ses conseillers vestimentaires ne l'aient pas remarqué, ou qu'ils ne l'aient pas pris en compte. Pourquoi, dans les chaleurs de l’été, déguiser de beige un président âgé sur qui un simple bleu marine aurait été mille fois plus discret et plus convenable ? François Mitterrand détestait-il le bleu marine ? Ou sinon lui, son entourage? A l'Elysée, jugeait-on naïvement - et stupidement - cette couleur trop "de droite" ? Comment peut-on, lorsqu'on est un professionnel de l'apparence et de la communication, commettre de telles erreurs ! Vêtu de beige, le président semblait à la fois mal endimanché, en fin de septennat bien avant la date et comme fatigué de ne plus croire à ses propres valeurs.
A dire vrai, la nuance de ce beige était désastreuse. A la fois trop claire et trop voyante, comme celle d'un costume de petit malfrat de chef-lieu de canton ; avec en outre une légère nuance "moutarde avariée" du plus vilain effet. Certes, je n'ai vu ce costume qu'en photos et à la télévision, donc assez loin de sa matérialité véritable. Au demeurant, s'agissait-il du même costume ou de plusieurs, taillés sans le même tissu ? Combien d'exemplaires de la même tenus possède un président de la République ? Le saura-t-on jamais ? La nuance de ce beige en tout cas semblait toujours identique : un vilain beige, tout ensemble beige d'autrefois et beige trop neuf, beige de la province et beige des mauvais quartiers. Un beige vulgaire, sorti d'un roman des années 40 et maladroitement remis au gout du jour après un passage trop appuyé chez le teinturier. Bref, une sorte de "beige Simenon" devenu "beige Mitterrand". Rien à voir, absolument rien, avec les splendides beiges aristocratiques que portait mon écrivain préféré, Vladimir Nabokov, à la fin de sa vie, sur les bords du Lac Léman, ou je l'ai aperçu plusieurs fois sans jamais oser l'aborder, probablement parce que je l'admirais trop.
Qui dira un jour combien cet horrible beige mitterrandien a coûté de voix à la gauche au début des années 1990 ?

Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs.

28 janvier 2019

Dérailler sur ta peau.

   De l'autre coté du couloir, dans le wagon, il y a un couple qui somnole, moelleusement enlacé. Ils se tortillent régulièrement pour changer de position dans ces inconfortables sièges de train, et à chaque mouvement ils se lovent encore plus l'un à l'autre. Ils me font penser à nos éternisantes mais si fugaces matinées où nous sommes si embrassés, si fortement enjambés que nous semblons former une sorte de petite dune.
   Cela fait plus de douze lunes que je désire, chaque crépuscule, passer mon museau dans le velours de ton menton, que je souhaite cerner tes cils de mes pupilles, que je tâche le plus souvent possible d'enrouler mes doigts autour de tes bras de satin, m'accoler à une de tes cuisses, me presser contre ton flanc ou jouir d'enrouler vigoureusement tes épaules.
   Comme si la proximité avec la chaleur et les ondulations de ta peau était cette chose même qui fait frémir en rythme le grandissant organe que j'ai dans ma poitrine, que tu cultives de ton existence depuis 372 nuits.