23 juin 2025

Le balcon.

La journée est passée d'une traite. Je sors de la douche, j'ai mis de la crème solaire. Je suis toute nue devant ma commode et je chiale pour la quatrième fois de la journée.

J'avais tellement peur que cela arrive la semaine dernière, je me projetais : je me voyais pleurer ce balcon, pleurer ces immeubles, pleurer ses parcs. Et puis une semaine après ça arrive, pour de vrai.
Pourtant, c'est irréel de savoir qu'une bombe est tombée à 150 mètres de chez papa. Elle a pulvérisé tous les arbres du parc, a fait sauter les volets de son salon, a brisé les pots de plantes. Avec les voisins, ils ont ramassé les éclats d'obus, ce matin, papa en a gardé un "en souvenir".


La journée est passee et je ne sais pas si j'ai pas assez ou trop travaillé. Je me sens moite, je sens mauvais, j'ai mal au creux du ventre, je titube. Ma tête me fait mal comme une gueule de bois. Il fait beau dehors, depuis 10h du matin j'ai envie de prendre l'air et maintenant que je peux le faire je suis incapable de sortir chez moi.

Je suis dans mon lit, je ne fais rien. Comme si, le fait de ne pas quitter mon appartement pouvait faire cesser les bombardements. Au moins ceux de mon coeur, qui bombarde la chamade. C'est ça une crise d'angoisse, alors?
Ou ça s'appelle le vrai chagrin?

On me dit de
faire des achats compulsifs
manger un bon truc
voir des potes

Mais en vrai, comment fait-on pour vivre normalement lorsque les racines se font la guerre ?

17 juin 2025

L'amie prodigieuse


Je ne suis pas nostalgique de notre enfance: elle était pleine de violence. Il nous arrivait toutes sortes d'his-toires, chez nous et à l'extérieur, jour après jour; mais je ne crois pas avoir jamais pensé que la vie qui nous était échue fût particulièrement mauvaise. C'était la vie, un point c'est tout: et nous grandissions avec l'obliga-tion de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile. Bien sûr, j'aurais aimé avoir les manières courtoises que prêchaient la maîtresse et le curé, mais je sentais qu'elles n'étaient pas adaptées à notre quartier, même pour les filles. Les femmes se bat-taient entre elles encore plus que les hommes, elles s'agrippaient par les cheveux et se faisaient mal. Se faire mal, c'était une maladie. Quand j'étais petite, j'avais imaginé que des bêtes minuscules, presque invisibles, venaient la nuit dans notre quartier: elles sortaient des étangs, des wagons désaffectés de l'autre côté du terre-plein et des herbes nauséabondes qu'on appelait des fetienti, elles sortaient des grenouilles, salamandres et mouches, des pierres et de la poussière, et elles péné-traient l'eau, la nourriture et l'air, rendant nos mères et nos grand-mères aussi enragées que des chiennes as-soiffées.

Elena Ferrante, L'amie Prodigieuse 

06 avril 2025

La frange.

Tu deviendras libre non quand tes jours seront dénués de soucis, tes nuits de besoin et de douleur,
Mais lorsque ces choses borderont les franges de ta vie sans empêcher que tu les surmontés, nu et libre.

Khalil Gibran, Le Prophète 

20 février 2025

Prémonitions attardées.

C'est comme si ça m'avait presque manqué. Peut être parce que je n'arrive pas à me retrouver aussi profondément que je le voudrais ces derniers temps, j'ai senti qu'en grattant, quelque chose allait s'effriter.

Tu avais l'odeur d'une personne triste. Je la connais cette odeur, elle a beaucoup trop campé sous mon nez, trainée d'amours en amours depuis mon adolescence. Je reconnais l'odeur d'un homme rempli de mélancolie parmi toutes. Elle a une couleur grise, elle est hérissée et molle à la fois, aussi fuyante et coulante qu'un jaune d'œuf. 

J'ai énormément travaillé ces dernières années. Mes journées sont millimétrées, mes semaines, mes plannings, s'enchainent et s'emboitent comme des meubles IKEA entre eux, dans le seul et unique but d'aller le mieux possible. Je suis devenue égoïste, casanière, mystérieuse, excellente au travail, plus sportive, plus dormeuse, moins drôle, je m'habille avec moins de style, je picole moins, j'ai des tendances hypocondriaques, j'anticipe tout beaucoup trop, je ne regarde quasiment plus les infos, je fais des puzzles… Tout ça dans l'unique but de me supprimer la plus grande quantités d'angoisses que la vie me déverse dessus à chaque journée d'existence. Je vais mieux. Je vais mieux car depuis hyper longtemps je n'ai pas chialé sur mon sort le soir au fond de mon lit. Je vais même plutôt très bien, car j'ai coché toutes les petites cases d'une vie tranquille. Une vie sans folies. Une vie qui ne me fait pas penser aux lames d'un cutter qui pénètrent mes veines.

Alors c'était dur, ce soir, de te voir si abattu. Parce que la région de ma vie où j'ai dû mettre le plus de pansements est celles des relations amoureuses, et cette montagne-là est recouverte d'un milliers de bandages, elle sous garrot serré et cela ne saigne plus depuis pas mal de temps. Mais c'est sensible, comme l'est une grosse cicatrice. C'était nécessaire ce soir, de se rappeler que je ne peux pas être un pansement pour quelqu'un d'autre, que je suis à ma place, et que les choses qui arrivent ne sont pas de ma faute.

Mais cela fait mal, comme quand quelqu'un t'appuie sur une plaie en voulant te faire un câlin. Et cela me rend triste car ça rappelle à quel point cela peut être profond, une blessure, que peut-être, celles-ci ne guérissent jamais, sauf que ça ne donne pas de statut "travailleur handicapé", même pas de carte "station debout pénible".

Ce soir, la station debout est pénible. Alors je me recroqueville, et je frissonne, j'ai le droit, finalement, de parfois enlacer la douleur et de pleurer un peu ensemble avec elle.


31 octobre 2024

Pré(in)cisions.

Je suis juste ; - de justesse
Je suis pure, de paresse
Bonne augure, je t'adresse
Me pavane tard le soir so(m)bre comme en costard
J'incise, les craquelures cousues de ce qu'il ne faut pas penser pas dire
Puisque les mots ont du pouvoir je m'en sers pour mes désirs

Chuchottons ce qui plairait, pas ce qui agace
Contrer le mauvais sort
Sirotant la vie sur une terrasse

Je jacasse
Mais jamais je me lasse

24 octobre 2024

Revenir.

Je m'éveille.
Ce qui me m'éveillée ?
Le Japon
Les concerts
L'alcool
Toi.

On dormira quand on sera mort.

30 septembre 2024

Aphaïa.

Un jour, nous avons dormi ensemble contre le gré de ta maîtresse. Tu t'es allongée de tout ton corps sur mon clic-clac d'étudiante et des pattes avant et tes pattes arrières touchaient les deux murs. On a passé quelques jours toutes les deux a Paris, dans le 13ème et tu étais si calme et si complice. Je me rappelle toujours de l'oreur de tes coussinets, ils sentent le bon saucisson, et j'adorais les renifler a chaque fois que je te voyais. Toi, quand tu me voyais tu m'accueillir avec une chaussure dans la bouche, pour me fêter, comme si ma présence était vraiment une joie. Ta présence a toi, en tout cas, a été une joie immense de ta maîtresse pendant onze ans. C'est long en années chien, tu es bien vieille. 
A l'heure où j'écris ça tu es en traind e faire ta toute ultime balade du soir. J'espère que ça sent le chat partout et que tu iras manger une crotte, une dernière pour la route, et que tu embeteres Iago.
Je te pleure et t'embrasse de tres loin sur ta tête toute blanchie. Bonne route, tu as eu la plus belles des vies de chien.