C'est comme si ça m'avait presque manqué. Peut être parce que je n'arrive pas à me retrouver aussi profondément que je le voudrais ces derniers temps, j'ai senti qu'en grattant, quelque chose allait s'effriter.
Tu avais l'odeur d'une personne triste. Je la connais cette odeur, elle a beaucoup trop campé sous mon nez, trainée d'amours en amours depuis mon adolescence. Je reconnais l'odeur d'un homme rempli de mélancolie parmi toutes. Elle a une couleur grise, elle est hérissée et molle à la fois, aussi fuyante et coulante qu'un jaune d'œuf.
J'ai énormément travaillé ces dernières années. Mes journées sont millimétrées, mes semaines, mes plannings, s'enchainent et s'emboitent comme des meubles IKEA entre eux, dans le seul et unique but d'aller le mieux possible. Je suis devenue égoïste, casanière, mystérieuse, excellente au travail, plus sportive, plus dormeuse, moins drôle, je m'habille avec moins de style, je picole moins, j'ai des tendances hypocondriaques, j'anticipe tout beaucoup trop, je ne regarde quasiment plus les infos, je fais des puzzles… Tout ça dans l'unique but de me supprimer la plus grande quantités d'angoisses que la vie me déverse dessus à chaque journée d'existence. Je vais mieux. Je vais mieux car depuis hyper longtemps je n'ai pas chialé sur mon sort le soir au fond de mon lit. Je vais même plutôt très bien, car j'ai coché toutes les petites cases d'une vie tranquille. Une vie sans folies. Une vie qui ne me fait pas penser aux lames d'un cutter qui pénètrent mes veines.
Alors c'était dur, ce soir, de te voir si abattu. Parce que la région de ma vie où j'ai dû mettre le plus de pansements est celles des relations amoureuses, et cette montagne-là est recouverte d'un milliers de bandages, elle sous garrot serré et cela ne saigne plus depuis pas mal de temps. Mais c'est sensible, comme l'est une grosse cicatrice. C'était nécessaire ce soir, de se rappeler que je ne peux pas être un pansement pour quelqu'un d'autre, que je suis à ma place, et que les choses qui arrivent ne sont pas de ma faute.
Mais cela fait mal, comme quand quelqu'un t'appuie sur une plaie en voulant te faire un câlin. Et cela me rend triste car ça rappelle à quel point cela peut être profond, une blessure, que peut-être, celles-ci ne guérissent jamais, sauf que ça ne donne pas de statut "travailleur handicapé", même pas de carte "station debout pénible".
Ce soir, la station debout est pénible. Alors je me recroqueville, et je frissonne, j'ai le droit, finalement, de parfois enlacer la douleur et de pleurer un peu ensemble avec elle.