- Bien, d'accord. Déshabille-toi et vite au lit. Vraiment je n'en peux plus !
Elle se déshabilla en un instant. Elle réapparut avec l'une de mes chemises de nuit et prudemment se glissa sous les couvertures.
- Je peux t'embrasser ?
La tête dans le creux entre mon cou et mes épaules, les cheveux légers qui m'effleuraient le menton, la main posée sur mon sein... E si Beatrice nun voli durmiri coppa nno' culu sa quantu n'ha aviri... Non, je ne devais pas chanter cette berceuse. Sa main reposait tranquille sur mon sein, et pas un tremblement ne venait de cette paume fraîche. Elle n'avait pas soif, je n'étais plus sa nounou, mais sa sœur. C'était bien comme ça. Et je devais parler en sœur.
- Écoute, Pouliche, vraiment ce baiser de Carlo...
Elle ne répondait pas. Je la regardai à la lumière de la lampe: elle dormait sereine comme Eriprando, naguère, après la tétée de six heures.
J'éteignis la lumière, c'était bien comme ça.
Un cri aigu de lumière voltigea au plafond. Le soleil était né, et dans sa lumière les faïences et les cuivres de la salle de bains resplendissaient de joie. Mais ce soleil mentait et luttait avec la langueur qui de mon ventre se diffusait dans ma poitrine, mes bras, mes joues. Je devais faire vite. Bientôt cette langueur atteindrait ma tête avec sa folle volonté de vie, et il serait inutile de s'y opposer. Je pris un bain chaud et m'habillai pour sortir. Je revins dans la nuit qui, paresseuse, s'attardait encore autour du frêle corps pelotonné de Beatrice. Elle n'avait pas bougé, ou seulement le peu qu'il fallait pour prendre le coussin dans ses bras. Dormait-elle?
- Non, Modesta. Oh, tu es déjà habillée ? Viens ici à côté de moi, il est tôt, je suis si fatiguée !
- C'est le matin, Beatrice, et nous étions déjà au lit à neuf heures.
- J'ai faim !
- Je le crois. Tire la clochette, un bon petit déjeuner nous fera du bien.
- Oh, je n'y arrive pas, fais-le toi-même, Modesta, je suis si fatiguée!
Ce n'était pas le moment d'entamer des discussions ou de se faire obéir. J'étais pressée, il fallait que je cherche ce médecin que Gaia m'avait conseillé naguère ou bien un autre.
Goliarda Sapienza - L'art de la joie