Nous mastiquons respectueusement, les yeux clos.
Le fracas lui fait rouvrir tout grand les yeux. Mon assiette a explosé en un millier d'éclats, des fragments volent à travers le restaurant comme des dents, rebondissant sur le sol là où j'ai précipité l'assiette de toutes mes forces, hurlant à pleins poumons, puis je m'effondre. La violence m'a rejeté en arrière sur la banquette. Ma main gauche dégoutte de quelque chose qui ressemble à du sang et à de la sauce. Elle est étalée sur la table. Mes doigts agrippent le formica, s'y enfoncent, tentent de s'y enfoncer, les ongles pliant et se brisant contre la surface comme un parapluie dans la bourrasque. Je n'arrive pas à détacher les yeux de ma main. Je la connais, mais j'ai oublié son nom. L'extrémité des doigts est d'une blancheur étrange, que le sang a désertée. Je tremble sans pouvoir m'arrêter. La sueur dégouline le long de ma joue que je mords à l'intérieur de ma bouche. Je sens un morceau de ma joue se détachersous mes dents, les muscles de mon visage ouvrent et ferment mes yeux. Cela résonne dans ma tête. Quelqu'un hurle
- J'en sais rien si c'est délicieux ! Je veux pouvoir dire que c'est délicieux !
[...]
- Treese...
Rubinstein se penche en avant, courbé par-dessus la table, vers moi. Il tend les mains.
Je ramène les genoux contre ma poitrine pour barrer la route à mes mains, faire cesser leur martèlement. Je veux protéger ma tumeur. Elle est triste. Tout le monde essaie de la tuer. Ils ne savent pas que ce n'est pas une chose venue d'ailleurs - c'est moi, c'est venu de moi, c'est à moi. Je l'ai fabriquée. Je ramène les genoux contre ma poitrine pour la tenir au chaud.Nous mourrons ensemble, maintenant, l'une à l'intérieur de l'autre. Comme des gens qui font l'amour.
Howard Buten - C'était mieux avant