24 octobre 2021

L'aval.

Petite, j'avais un jeu : je prenais une ficelle en coton assez épais. Cela pouvait être une lamelle de drap de lit, le cordon d'une robe d'été ou un lacet assez souple. Je le mettais dans ma bouche, lentement, méticuleusement, en entier. Je tenais une extrémité avec mes doigts et j'amenais le reste entre mes petites lèvres d'enfant, l'enduisant de salive, le machoillant avec mes dents de lait, format une boule mole et pâteuse. Je la tournais entre mes joues et avec ma langue jusqu'à ce que cela forme une masse homogène. 
Je repirais un coup.
Et j'avalais.

Il fallait tenir fort le bout de la cordelette avec ses doigts pour me pas tout engloutir. La boule descendait à grand peine dans ma gorge. Bloquait parfois au niveau du sternum, parfois je la sentais se dérouler plus bas. Il ne fallait pas bouger. Le jeu était de ne pas s'étouffer. De ne pas avaler de travers. De ne pas vomir. Et puis je la tirais doucement. Je sentais le tissu  spongieux racler les parois de ma glotte, remonter à grand peine. Si je tirais plus fort c'était la quinte de toux et la nausée assurées. Si je ne tirais pas assez vite je manquais rapidement d'air. Cela pouvait durer plusieurs minutes. Je m'arrêtais a certains paliers de ma gorge pour sentir l'élément étranger dans mon corps, qui m'entrave et que j'enrobe. Je pousuivais jusqu'à ce que l'extrémité touche les amygdales, c'était désagréable et dangereux. Je pouvais vomir une bouffée de larmes à ce moment là. Et puis le bout de tissu ressortait de ma gorge, visqueux, décoloré, mortifié, et je souriais. J'étais pas morte. J'étais pas démasquée.
Je recommençais.