C'est peut-être la pleine lune. Mais j'ai senti des griffes noires me broyer l'estomac et m'enserrer la gorge. Lorsque l'année dernière il ne me donnait pas de nouvelles c'était pour se glisser dans les cuisses d'une autre, s'enivrer avec d'autres sourires, rire avec d'autres voix, danser avec d'autres bras ; en somme, me fuir, m'oublier.
J'ai couru et rampé après lui en m'esquintant les genoux et le cœur durant douze mois. J'ai crié colère et désespoir dans le vide, car il coupait son téléphone et c'est comme s'il me mettait une pomme dans le gosier, comme à un porcinet rôti étalé sur un plateau. J'ai les émotions qui ont débordé de mes yeux et de mes oreilles tant de fois que mes interstices sont devenus des crevasses, lacérées par les larmes, par la peine, la solitude, le déni. J'ai eu envie de me barioler de dents de scie, de lames de cutter, d'étaler ma cervelle en bas de ma fenêtre. Je me suis jurée, ô combien de fois de ne plus jamais accorder autant d'importance que je lui ai accordé à lui.
Et puis il y a des soirs où il ignore mes messages et où l'insupportable film de l'année dernière me revient en tête : je l'imagine poser ses mains moites sur les larges hanches crémeuses de son amante, de frôler ses lèvres avec les siennes, de lui dire des mots que j'aurais aimé qu'il me chuchote à moi. Je le visualise en train de s'enfouir dans ses cheveux noirs et de ne surtout par regarder son téléphone qui se déchargeait un peu plus à chaque message que je lui envoyais. J'imagine ces quantités de bières qu'ils ont bu ensemble, leurs rires puis leurs accolades qui se transformaient au fur et à mesure de la soirée en enlacements puis en baisers.
Le lendemain, il devait ouvrir les yeux, tourner sa tête sur l'oreiller, apercevoir une chevelure endormie et durant un instant se demander si c'était elle ou moi, car l'alcool de la veille lui avait brouillé les souvenirs. Il remettait ses vêtements, ceux-là même que j'avais lavés au lavomatic quelques jours auparavant, lui faisait le même baiser qu'à moi lorsqu'il partait de chez moi, avec un sourire et un promesses : celle de recommencer. Puis il arrivait chez lui, rallumait son téléphone et m'écrivait innocemment qu'il venait de se réveiller et qu'il était fatigué hier soir.
Alors, toute la journée, je me demandais comment lui rendre sa soirée plus douce, auprès de moi, quelles choses il aimerait manger, quel vin il aimerait boire en ma compagnie. J'étais tellement aveuglée par son bien être, que j'oubliais son silence de la veille, je ne pouvais pas du tout imaginer un seul instant que hier soir, il répétait le même rituel macabre et honteux de me mentir en allant se glisser dans les cuisses d'une autre.
Je m'endors avec ces scènes et ces images une nuit sur deux, et j'aurais aimé qu'elles occupent toutes les nuits pour arriver à le haïr ; simplement, l'autre nuit sur deux, je crois en les mots doux et les promesses qu'il m'écrit et me chuchote, alors j'attends, patiemment, son amour et son attention qui ne viennent pas, et j'oublie qu'il faut penser à soi, avant de penser à lui.