Il y a un professeur de dessin qui est venu me voir. Pourquoi trouve-t-il ça normal qu'on m'ait mise là, il me trouve donc folle ? En tout cas, il aime bien les dessins des fous, il veut exposer les miens dans la grande salle.
- Ça ne va pas, non ? Vous croyez qu'après ce qu'ils m'ont fait je les laisserai encore dire: « Regardez, c'est notre petite anorexique, elle dessine bien, hein ? » Vous me prenez pour qui ?
- Je ne t'oblige pas. Seulement cela aurait fait bien à coté de tous ces dessins de débiles.
- Cela aurai fait bien ! Un asile, ce n'est pas fait pour faire bien ! Et puis raison de plus, je ne veux pas mêler mes dessins à ceux des fous !
Il a peut-être cru toucher mon orgueil ?
Est-il possible que les gens soient aussi peu psychologues ? Je regarde en pleurant mon arbre, il a trop de feuilles, trop de racines, je ne savais pas exactement comment dessiner les marrons parce que de si loin, on ne peut pas les voir, alors je n'en ai pas fait. Un marronnier sans fruits c'est plus joli, moins lourd.
Elle arrive avec ses petites lunettes de myope qui cachent à moitié ses yeux verts, elle pose le plateau et s'assied sur la chaise rouge. Mes yeux me font mal, mais elle ne voit rien, elle rit en disant qu'aujourd'hui c'est délicieux. Mon cœur tourne toujours autant mais j'ai appris à ne plus y faire attention, d'ailleurs il faut bien que je lui apprenne à se tenir convenablement, n'est-ce pas, cœur à roulettes ?
Valérie Valère - Le pavillon des enfants fous