02 octobre 2012

   Un moustique passe nonchalament, de droite à gauche juste au-dessus de mon nez, alors qu'il est 14h38 et que la chambre est baignée d'une lumière jaune tournesol, avec toutes les nuances de miel, d'ocre et d'ébène qu'il faut. Les draps sont sales, l'odeur est lourde : c'est une odeur de tabac froid, pire : de cendrier froid, tiède, humide et débordant. C'est peut-être ça qui m'empêche de dormir. C'est peut-être le froid, mais le froid est dans ma tête car il s'estompe quand il vient me serrer dans mes bras pendant deux ou trois quarts d'heure à la pause midi, en fumant un pétard, torse nu, poussiéreux, fatigué de moi, de sa nuit blanche - à cause de moi - de sa vie peut-être (peut-être un peu aussi par ma faute). L'odeur de cendar, elle, elle était là même quand il est venu s'allonger. C'est donc elle qui joue à me rendre insomniaque. Ou peut-être que j'invente tout, que c'est une petite envie de lire quelque chose, quelque chose et quelqu'un qui me parle un peu, qui me blase un peu, qui me soutient un peu car c'est pareil que dans ma tête : des lignes d'une enfance exposée au vent, une enfance qui a quelque années de plus que la mienne : de la jeunesse quelconque, en somme.
   J'en oublie presque que demain je dois partir : là-bas. Pour aller regarder en face le tas de ferraille inventé par monsieur Eiffel, juste avant d'aller en cours. J'ai très mal aux chevilles, je n'ai pas envie de partir, et puis, je finirai bien par m'assoupir, même avec cette horrible odeur de mégots qui m'envahit la gorge de plus en plus. il faudrait que je songe à ranger cette chambre. Parce que ce sont ses ultimes jours, et que j'y dors et que peut-être je n'y dormirai plus déjà demain. Sauf si je refuse, encore, d'aller me perdre dans un wagon rempli de businessmen et de familles heureuses et mièvre pendant trois heures : tout cela pour autant d'heures de cours que je ne suivrai pas, que je ne comprendrai pas, où je n'irai pas. Il faut donc que je range cette chambre, coûte que coûte ("vaille que vaille"...). Peut-être que comme ça il verra que je m'en veux vraiment pour tout à l'heure, d'avoir égoïstement joué, sans le laisser dormir. Parce que je veux qu'il le sache, que je m'en veux. Que je lui en veux à lui, aussi, de ne rien dire... Et voilà, je finis par presque le dire : j'ai un dent contre lui pour son silence. Parce que sa belle gueule ne me dit rien. [...] Disons que ce sont les effluves de tabac qui m'égarent ; et le sommeil ; et mon insouciance ; et son silence. Et encore, et encore, et encore, tout qui part en boucle. Comme de la fumée de cigarette.

   Le plus horrible, c'est d'être dans la chambre d'à côté du salon, où les gens ont tout ce qu'il faut, mais d'avoir la flemme d'aller chercher un pauvre briquet pour allumer sa clope, un pauvre petit bout de pain pour contrer l'hypoglycémie. C'est peut-être de la peur, peut-être... Foutaises, c'est de la connerie. Agoraphobie de mes deux, flemme endiablée. Je ne veux plus fumer ici, j'ai faim, je sortirai bien faire un petit tour, bouffer un bout dans un bistrot, faire ma riche et aller dans une brasserie toute seule... Mais je suis fatiguée, j'ai mal aux chevilles, je m'en veux pour je ne sais quoi, c'est trop insalubre ici, et puis j'en ai assez de me répéter sans cesse ce qui m'empêche de faire ce que je ne peux pas faire : tabac froid, égoïsme, fatigue, frousse, argent, etc. etc. etc.


   Les boucles étranges, elles me prennent la tête, c'est ridicule tout c'que j'me dis, je ferais mieux de réciter les trois p'tits chats par coeur, comme quand je ne sais plus quoi dire. L'acide s'amuse donc à me distordre un peu encore le cerveau, je vais finir par aimer ça...