La lune brumeuse montait doucement comme des vapeurs de gaz. Un peu hésitante, elle rampait le long du néant se formant peu à peu à l'horizon qu'on ne devinait que parce qu'on l'observait parfois à l'aube. La brise salée d'une mer beaucoup trop lointaine se percevait sur ta peau bleutée, frémissante. Tu grelottais plus que chacune des brindilles du champs de blé où tu posais tes pieds nus.
Quelques gouttes tombèrent mais en levant les yeux nous vîmes qu'il n'y avait pas de nuages. Ce devait être les étoiles qui pleuraient... On entendit le vent chanter de plus en plus fort entre les épis, dans nos narines, et à la cime des arbres derrière nous, tel une berceuse qui frigorifie et apaise le cœur. Une douleur douce à la poitrine nous vint à tous les deux au même instant et nos regards se croisèrent pendant quelques secondes. Le tien était vide, on pouvait lire dans tes yeux translucides une totale absence de l'âme. Quant à mes yeux à moi, ils se remplirent de larmes qui refusèrent de couler. Je me détournai et tu étais de l'autre coté, je regardai devant moi mais tu étais encore là, ainsi que derrière et à ma gauche.
Je voulus te parler pour ne rien te dire mais le vent vint saler ma langue avant qu'elle n'ait le temps de prononcer une seule parole. J'en eus marre, je me levai et courus t'écraser de mes pas mais en te marchant dessus tu réapparaissais quatre mètres plus loin. Je te criai alors des mots en l'air, qui s'envolaient loin de tes oreilles, et quand je compris que tu n'entendais rien je voulus sentir ton odeur, mais en m'approchant ça sentait le sel et la pluie comme partout autour de moi, tu ne souriais pas à moi mais à quelqu'un derrière je me retournai pour regarder et je te vis toi, hurlant, les bras en l'air, les yeux clos mais ta voix ne sortait pas de ta gorge, je sentis la mienne se serrer et ensuite ce sont tes bras qui vinrent à la tienne. J'entendis seulement ta peau se briser mais il n'y eut pas de sang, juste un crépitement sous mes pieds car je marchais sur une branche.