14 août 2018

Viscérations

   Tu dormais profondément, et tes expirations s'entendaient déja depuis la salle de bain en me faisant vrombir les clavicules. J'ai rejoint ce lit où nous dormirions en glissant depuis mes vêtemements jusqu'à me froler à ta chaleur moelleuse et vibrante. Tu as bougé lorsque je t'ai caressé la joue comme on carresse l'écorce d'un platane lorsque l'on a huit ans et qu'on a l'impression d'avoir le roi des arbres sous ses doigts. Tu t'es remis dans ton paisible sommeil, comme on chasse une vilaine mouche qui dérange notre tranquilité, silencieusement.
   Alors, j'ai glissé ma main sur le bas de ton dos et j'ai ressenti pour la première fois de ma vie le sens de l'expression "le creux des reins". J'ai frolé et broyé des dizaines de dos dans mes sommeils, dans mes envies et dans mes peines, et c'est un soir de grotte que je prends conscience de l'existence de ces deux valves discrètes qui ornent, de part et d'autres, voluptueusement, la chute de la colonne vertébrale. Ce son tes creux de reins que j'ai senti, avec fureur, pour la première fois de mon existence, contre la pulpe de mes doigts.
   J'ai pris ta main gauche avachie contre le matelas et je l'ai plaquée contre mon sein. La figure que formaient les angles de tes phalanges contre la rondeur de ma poitrine faisaient une drole de sculpture d'amour, tendre et compliquée, comme le sont parfois les entremêlements de tes phrases accolées aux dernières lampées de vin sous la noirceur du ciel. Je sentais mon têton se froisser et se défroisser à l'idée de se faire réchauffer par la paume de ta main inconsciente, lourde et lasse, au rythme de la valse de tes sinus noueux. Je suis restée des minutes entières de bonheur à me dire qu'il faudrait que je me rappelle de cet instant alors je suis venue l'écrire ici.
   Je relirai et tu reliras ces mots en pensant aux envies que j'ai de toi à chaque moment passé près de ton souffle, près de ta peau couverte du noir de tes t-shirts, du noir de tes angoisses, du noir de la nuit qui nous amène aux lendemains.
   Tu dors et je t'entends encore.