08 janvier 2018

Pierre précieuse.

    La soirée était déjà parfaite : je dansais entourée des attachantes dizaines de paires de yeux que je fréquente maintenant depuis plusieurs mois. Il était une heure déraisonnable, et les dents des gens ivres clignotaient sous les lumières comme si c'était encore Noël. Tout le monde souriait, se dandinait, secouait ses bras, criait des syllabes inaudibles dans un joyeux vacarme. Et puis il y a eu le feu d'artifice.

   T'as débarqué tel un bouquet d'épis de blé avec tes mèches bouclées et tu m'as demandé de ton air le plus sceptique si j'aimais bien la musique. Quoi ? Ben oui j'aime bien, ça se voit..! Tu en voulais plus, tu étais exigeante. Toi, tu aimais mes cheveux -ou alors t'aimais pas trop ma gueule-, mais tu voulais absolument que je dégage ma tignasse de derrière mes oreilles. Tu m'as coiffée, on a dansé, tu m'as enlacée. Tu savais déjà qu'à midi on serait nues, quelque part dans cette grande ville que tu n'habites pas. T'étais relou, imposante, tellement certaine de la vérité absolue de chaque phrase que tu articulais que je me suis délicieusement laissée faire. J'ai glissé d'abord sur tes genoux fumer une clope avec tes potes, puis sur ton visage plonger mes pupilles dans tes gemmes à toi. T'as fini par céder plus que moi, à nous rejoindre en banlieue, juste pour mes beaux yeux. Je crois que tu mettais de la musique de merde, mais je ne t'en tiens pas rigueur, je n'entendais que les vibrations de ta présence. 

   Après, je suis venue avec vous.
   Il habitait une fantastique résidence de brique et de verre entre Goncourt et Belleville. Les baies vitrées se reflétaient les unes sur les autres dans le noir et j'avais l'impression d'aller dormir dans un énorme diamant. On a promis de ne pas faire de bruit mais il me semble malheureusement qu'on n'a pas été du genre à tenir nos promesses.
   T'as réclamé des clémentines. On n'a même pas fumé. Je me souviens de chaque couche de vêtement qui recouvrait ta peau, de la commissure de tes lèvres qui esquissait un arc de cercle que je pouvais enfin déguster sans jouer au chat et à la souris. Je me rappelle de votre tendresse, de votre synchronie, de votre chaleur, de l'odeur de l'oreiller où j'ai joui. 

   Le réveil a été provoqué par les dizaines de pas du repas de famille qui se tramait de l'autre côté du mur de la chambre. Paul est sorti dire bonjour quand j'ai commencé à m'habiller. Toi, tu t'es doucement étirée sous la couette et en regardant tes seins je me suis souvenue que Yanis t'avait dessiné au marqueur dans le cou. Cut here sur ta gorge. Tu m'as dit de te prendre en photo pour voir, et aussi de prendre ton numéro de téléphone. Je t'ai fait la bise mais je t'aurais bien prise aussi, encore. Tu souriais. Moi j'ai doucement ri en pensant à Paul qui se ferait charrier tout l'après-midi. Je me suis glissée dehors en te disant à bientôt, je le crois.

   - Je te fais visiter ?
   En plein jour le patio était encore plus charmant qu'au petit matin. Il me rappelait exagérément la mosquée de Paris par ses couleurs. Un petit canal turquoise traversait la cour intérieure de couleur ocre, il y avait des arbres de part et d'autre, un petit escalier sable menait vers une table et des chaises comme sur une charmante terrasse de campagne. Il y avait même des composts au fond de la cour. Un poumon dans la capitale.
   - Mes parents et leurs amis habitent tous ici depuis super longtemps. Ils ont tous eu des enfants en même temps. Et maintenant c'est nous qui habitons là. Mes potes habitent ici et là. 
   Je reviendrais... Paul m'a claqué la bise en posant sa main sur mes fesses et je me suis jetée dans les artères du 10e arrondissement à la recherche de noms de rues familières. Le quartier me paraissait fabuleusement attirant, la température agréablement vivifiante et l'aveuglante lumière blanche du ciel gris de Paris m'irradiait les yeux. J'ai dégringolé jusqu'à République avec le sentiment d'aller au Festival de Cannes.

   Je me suis rappelée qu'hier soir, en arrivant, pendant un instant, la délicieuse pensée de vouloir être amoureuse m'a traversé l'esprit. D'avoir une seule paire de bras tendres qui m'enlacerait régulièrement m'a paru alors être une optique envisageable pour les prochains mois. Ces idées ont volé en éclat au bout des quinze premières secondes où t'es venue me parler. Parce que je pilote un vaisseau beaucoup trop rapide et qui ne me laisse pas le temps de m'accrocher aux bras des gens,
parce qu'il n'y a pas assez de minutes sur terre pour satisfaire mon planning,
parce que j'affectionne bien trop le fait d'être flattée par des voix neuves,
parce que je ne suis jamais rassasiée,
parce que j'ai failli me décrocher la mâchoire en souriant tout le dimanche,
parce que j'ai une furieuse envie de toi.