03 septembre 2010

Métaphysique du malheur.

 Quelle belle journée ! - me dirais-tu à travers des larmes qui regretteraient un ciel gris et un vent violent. Je ne voudrai plus t'embrasser ce jour là. Tu as choisi le camp des des demi-faces, celles qui rient pour ne pas pleurer, qui engloutissent la bière au lieu d'engloutir leur propres vies. J'aurais voulu te sauver ; au moins une fois te faire monter sur ce bateau qui prend le large, sur lequel il n'y aurait que les éléments qui te permettraient de voir au-delà du présent, au delà-de l'avenir, à travers le passé, si translucide. Peut-être y voudrai-tu un jour remonter seul, comme certains voyageurs en manque de nouvel air qui embarquent en oubliant leurs valises où même leurs larmes étaient rangées. Moi, j'ai compris bien trop vite que je ne pourrai jamais être le capitaine de bord : je n'ai jamais vraiment touché le fond pour mériter de me promener paisiblement sur la surface. Il me faudrait vivre infiniment plus de chagrins et de solitude qu'une vie entière ne le permet, ceci est réservé aux plus mélancoliques d'entre nous, et j'en ai pas vraiment encore croisé sur mon chemin. Du coup, je cherche à en être seulement le passager. Je ne sais plus quoi te dire, je suis dans l'incapacité de te relever assez la tête pour que tu voies le beau paysage qui s'offre à toi par-dessus tes maigres chagrins. Quel beau métier aurai-je pu faire : vous relever la tête, à tous, vous écarquiller les yeux en vous crachant toutes vos faiblesses en face, celles que j'arrive à cerner plus vite encore que vous-mêmes ne savez le faire. On m'aurait peut-être détesté de vivre si proche de la vérité, de la vôtre, de la mienne. On habitue les gens à être à l'écoute, mais c'ets le contraire qu'il faut faire : il ne faut pas laisser parler, car les mots de ceux qui se sentent malheureux ont un pouvoir plus dévastateur encore que le malheur lui-même. Il faudrait trouver un moyen de leur faire oublier leurs illusions, leurs résolutions. Combien de fois a-t-on fait l'erreur de demander si ça va à quelqu'un qui ne va pas bien ? Quelle que soit la réponse - "oui", "non", "mieux" -, le visage de la personne se décompose, rongée par le souvenir de ce chagrin oublié quelques instants. Quelle erreur que d'entretenir le souvenir, le bon comme le mauvais car le premier intensifie le deuxième.
   Je crois que c'est tout simplement de la faiblesse : l'horreur de se détacher de soi, même si on se sent tellement mal dans notre présent, on se sent obligé d'y rester soudé, comme si en le perdant on perdrait tout ce qui nous appartient jusqu'à nous mêmes. C'est de la lâcheté - le plus facile et le plus fiable des moyens des gens faibles - que de se suspendre par le cou à une corde qu'il suffirait de couper pour retomber sur ses pattes.