18 août 2010

Un soir qui virevoletait au-dessus de toutes les esperances.

   Il y avait des éléphants en bois peint de toutes les tailles sur les étagères qui accueillaient en vrac DVDs, livres et CD. Il y avait du Camus entre deux Jeff Buckley, Jane Austen était accompagnée d'une cassette de Almodovar à droite et d'un live de Bojan Z à sa gauche, puis s'alignaient en file indienne deux Marc Villard, la tétralogie Solal d'Albert Cohen, un film de Kubrick, un livre acheté au musée d'Orsay, quelques CDs de rock russe, un vieil exemplaire d'un journal féminin, La Dame de Pique de ce cher Pouchkine et des dizaines d'autres bouquins. Des deux cotes de la fenêtre en bois pendaient des bouts de tissu d'un rose transparent, avec des arabesques cousues de fils colores. Un porte encens noir ainsi que des boites entières de ces bâtons parfumés étaient poses négligemment sur un coin de table. A gauche de la télévision, près de la porte il y avait une statuette de girafe haute de plus d'un mètre; plus d'une demi-douzaine de cendriers jonchaient ca et la sur le sol ou tout le monde était assis en tailleur. Les deux seules demoiselles de la salle étaient blondes et se ressemblaient comme des sœurs. Elles fumaient de très fines cigarettes qu'elles jetaient a peine entamées en s'empressant d'en rallumer d'autres. Elles parlaient très vivement entre elles en utilisant des mots anglais a chaque phrase, et en gesticulant beaucoup avec leurs bras, comme si elles chassaient des chauves souris vivaces. Kryzstoff entra dans la pièce avec un plateau de métal use ou étaient poses des tasses et des mugs fumants. Chacun était unique par sa couleur et sa forme. Il les posa très doucement parterre, au milieu du cercle que formaient les invites et tout le monde saisit son breuvage, il y eut même une dispute assez bruyante mais très brève entre les deux nanas car les deux voulaient la petite tasse carrée, celle avec des fleurs roses. Louis était calmement vautre et admirait intensément les étagères, il n'arrêtait pas de jeter des coups d'oeil aux éléphants qui semblaient traverser un désert sorti de son imagination; les bêtes étaient chargées de verres colorés et de gravures qui ressemblaient a des pierres précieuses. C'est seulement lorsque Kryzstoff se planta devant lui, une tasse a la main, que Louis arriva à détacher son regard du troupeau d'animaux. Il prit la tasse en bredouillant un vague merci, se brula les doigts, renversa un peu de thé sur son jean et se brula les cuisses, jura assez fort pour que tout le monde - a part les deux blondinettes - se retourne pour le regarder, s'excusa et s'empressa de boire son thé qui lui brula la langue. Un sourire bienveillant aux lèvres, Kryzstoff s'accroupit a cote de lui et proposa du sucre en tendant la sucrière sans un mot. Louis mit huit bonnes secondes a comprendre que ces petits bouts de verres couleur caramel étaient sensés sucrer son thé, et quand d'un air presque affole il demanda s'il pouvait avoir une cuillère, Kryzstoff lui la tendit en pouffant de rire.
   LOUIS, d'un air un peu pince. - Qu'est-ce qu'il y a ?!
   KRYZSTOFF, amuse. - Rien, tu te comportes comme un enfant qui se trouve parmi un groupe d'adultes dont il ne connait pas les manières.
   LOUIS, essayant de paraitre a l'aise. - Non, pas du tout, je suis bien... (Puis, une note boudeuse dans la voix.) Mais c'est vrai que je connais presque personne ici..! A part Angèle...
   Alors Kryzstoff s'assit contre Louis, de façon a pouvoir passer son bras autour de ses épaules. Il approcha sa bouche tout près de son oreille et lui chuchota tout bas, comme si c'était le plus grand des secrets : "je vais te raconter...".
   KRYZSTOFF, tout bas, a Louis. - Regarde, a ta droite, c'est Jim. Il est arrive d'Angleterre en France a l'age de neuf ans et dit a tout le monde qu'il rêve de retourner vivre dans son pays natal. Pourtant il s'obstine a faire ses études ici, a la fac. Il joue de la gratte comme un dieu, je me souviens, au lycée, il avait son propre groupe. Il passe tout son temps libre chez moi, comme aujourd'hui, ou chez Erica, et il apporte parfois sa guitare. Erica c'est la blonde de gauche, elle veut faire croire a tout le monde qu'elle parle super bien british, alors que c'est a cause de l'anglais qu'elle a rate la mention au bac. Elle est amoureuse de Jim, personne ne le sait mais a moi, elle me dit tout. Je la connais depuis que je suis a la fac. C'est elle qui s'est assise a cote de moi au premier cours de ma première année. Depuis, on est inséparables, on s'engueule trente fois par jour, mais au fond on s'adore. Sa copine, c'est Élodie elle a arrêté les études il y a deux ans et passe sa vie dans les bars, chez des amis, ou en voyage. Sa mère est morte quelques années auparavant, du coup son héritage lui permet de mener la belle vie. Elle a décide de se consacrer a l'apprentissage de tout et de n'importe quoi, par exemple en ce moment elle prend des cours de peinture, d'informatique, et de tir au pistolet. La semaine dernière elle m'a supplie d'être son partenaire pour des cours de tango. Celui qui parle fort, avec le T-shirt bleu fluo, c'est Marvin. Nous étions au collège ensemble et puis on s'est retrouves a la fac. C'est le gars qui met de bonne humeur n'importe qui n'importe quand en moins de dix minutes. Observe-le un peu, rien que dans ses gestes et sa façon de parler, il fait rire. Et puis c'est pas seulement le genre de clown de la bande, il sait aussi consoler et conseiller quand y'a besoin. Merde, attends, je reviens j'ai oublie d'apporter les biscuits.
   Il se leva d'un bond et disparut dans la cuisine. Moins d'une minute après il revint avec une montagne de gâteaux verses sur une grande assiette. Il les posa sur le plateau à thé, entre quelques tasses déjà vides, et revint s'asseoir a cote de Louis.
   KRYZSTOFF. - Ouais, je sais les gâteaux sont difformes et d'une couleur peu appétissante mais il sont super bons, goutes-en un !
   LOUIS, après avoir saisi un biscuit. - C'est vrai qu'ils sont bons, tu les achetés ou ?
   KRYZSTOFF. - Je les fais moi-même, c'est une recette que ma grand-mère m'a appris quand j'etais encore gosse et que je passais mes dimanches après-midis chez elle a m'ennuyer. J'en fais souvent car tout le monde les aime bien, et moi le premier ! (Il s'approcha de nouveau de Louis, lui passa son bras autour de ses épaules afin de retrouver exactement la même position que tout a l'heure et reprit la description des invites comme s'il ne l'avait pas interrompue.) Benjamin, c'est celui qui discute avec Jim, ils ne s'aiment pas trop mais l'un comme l'autre ils sont amoureux de la musique et incollables a ce sujet. Du coup, a chaque soirée ils reprennent une discussion arrêtée la veille, et parlent successivement pop, classique, rock, jazz... Au fait, tu aimes le jazz ? Je vais mettre un peu de musique.