25 mars 2018

Acuités

   Rien que le fait de dire : je vais aller me promener en ville.
   Je marchais à pas lents, en posant les plantes de mes pieds doucement dans mes semelles à chaque enjambée, pour que le caoutchouc de mes chaussures atteigne le sol par le contact le plus doux possible. Je regardais où me menaient ces pas avec sérénité. J'ai atterri dans chacune des boutiques que j'aimais le plus dans mon adolescence. Dans chacune d'elles j'ai toujours voulu entrer à chaque sortie citadine pour m'y acheter mille belles et onéreuses futilités. Le grand magasin de cartes postales vendant des milliers de cartons colorés format A6, la pharmacie verte aux porcelaines et aux bocaux de médecine sur les étagères, la boutique Mango claire et spacieuse sur deux étages, les cinq étages du Gibert Joseph replis de bribes de culture, le magasin de jouets qui s'étend tel un intestin grêle garni d'automates colorés et farces et attrapes, le salon de thé vintage et luxueux à la musique ancienne, la Nef et ses alcôves d'artistes remplies de porcelaines volatiles.
   J'ai acheté des escalopes de poulet pour aller manger chez Lola, un stylo pour écrire l'alphabet russe, quatre CDs de variété française, deux chocolats chauds à l'ancienne. Des heures et des heures de ce samedi ont été consacrées à expérimenter les douceurs de cette ville que je fréquentais si souvent auparavant. J'y ai pris tant de plaisir que j'ai eu l'impression d'être en vacances. De vouloir y aller en vacances.

* * *

   Cela s'accentue depuis deux ou trois mois, j'ai l'impression : l'envie de rire plus fort, l'ivresse, l'énergie, les saveurs dans ma bouche, la couleur dans mes cheveux. Je voudrais m'habiller de manière plus belle, m'acheter des choses qui me font plaisir, lire des livres qui me racontent des histoires d'une belle manière, de regarder des films dont le cadrage et la gamme colorée évoquent en moi un sentiment de béatitude. Je voudrais voir les personnes que je trouve belles lorsqu'elles parlent et qu'elles me parlent, je suis en quête perpétuelle de beauté, de toute la beauté du monde.
   Acuité émotionelle, acuité culturelle, acuité esthétique. Je voudrais que la douleur, qui me hante quotidiennement dans le crâne, entre mes jambes, se dissolve dans les pixels qui composent mon champ visuel, dans les notes qui font partie du timbre de ta voix, dans les miliers de secondes que je passe à sentir la beauté qui émane de tout ce qui existe lorsque je l'ai souhaité.