18 novembre 2017

Albert Calmus - L'étranger

Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi.
Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes.
La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée.
À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé.
Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était
à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps,
j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi
à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué
à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où
des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique.
Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre.
Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle.
Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère
m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes
et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde.
De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti
que j'avais été heureux, et que je l'étais encore.