06 septembre 2015

Septembre

Les soirées de la fin de l'été à Montpellier sont les meilleurs... ce sont les pires. Vingt visages t'attendent au bar où tu mets les pieds depuis que t'as quinze ans, quatre ou cinq bières dont une offerte transforment ta fatigue en un état euphorique où tu commences à voir double - que le commun des mortels appellent "bourré" et que toi tu ressens "merveille" -, un coup de plus te redonne foi en tes jambes et ta cervelle au point de te rappeler du code de la porte de chez Maïs qui t'a dit de passer sans problèmes.
T'arrives en te sentant fort, avec tes trois beaux mousquetaires, tu composes le code d'un doigté assuré, tu appuies sur le bouton d'ascenseur d'un air de défi, tu le nargues pendant qu'il monte péniblement les 2 étages, tu traces dans le couloir blanc en titubant et tu appuies sur la poignée de la porte de l'appartement tant convoité avec le sentiment de victoire.
Et là. Deux voix, cinq voix, dix voix, douze voix... ils sont au moins quinze. Ça chante. Non : ça parle espagnol. Tu t'assois. Tu écoutes. Tu jubiles. Tu réponds...
"El incendedor !"
"No nació en Francia, soy ukrainana..."
"Sí pero..."
Tu regardes ta montre. Tu bois le vin que tu as réussi par miracle à déboucher toute seule. Tu bois. Tu écoutes. Tu parles. Tu bois. Tu parles. "El incendedor por favor". Tu écoutes. Tu bois. Vite vite vite, tout le monde parle, boit, fume, el incendedor, tu bois, tu écoutes, tu parles tu écoutes, tu écouparles, tu boutes. Tu regardes ta montre. Tu bois. Tu sais qu'elle avance, mais tu regardes encore ta montre. 2h10. Tu bois. Tu ris. Tu bois. Tu pleures intérieurement. Tu bois, tu écoutes. Tu prends ton sac. En fourbe, en scred, le coeur compressé. Tu écoutes-tu ris-tu regardes ta montre. Au revoir, bisous, je dois y aller - turisturegardestamontre - on se revoit lundi (comprenez : "j'ai l'impression de passer à coté de ma vie") !
Dernière clope à l'arrêt de tram. Par frustration, on s'en embaume les poumons bien salement, à grosses inspirations. Les oreilles bourdonnent : plus d'espagnol, plus de vin, on n'est plus vingt ; dans ce tram on est quarante inconnus et j'écris des textos d'amour au gens laissés au deuxième étage sur la place de la Comédie.
Je suis déjà dans mon lit, c'est raisonnable. C'est détestable. Je suis un grain de sable, sur une plage barcelonnaise, c'est la baise.