09 février 2014

Meneseteung

   Elle passe une robe de chambre sur sa chemise de nuit et descend. Les pièces de devant sont encore dans la pénombre, les stores de la cuisine sont baissés. Quelque chose fait flic, flac. Un flic-flac désoeuvré réprobateur, qui le rappelle la conversation du corbeau. C'est tout simplement le jus de raisin que l'on filtre pendant la nuit. Elle tire le verrou, sort par la porte de service. Pendant la nuit, les araignées ont drapé l'entrée. Lourdes de rosée, les roses trémières inclinent la tête. Arrivée à la clôture, elle écarte ces fleurs qui lui collent aux mains, puis elle regarde et elle voit.
   Le corps d'une femme gît là, sur le flanc, la face écrasée contre le sol. Almeda ne peut voir son visage. Il y a un sein nu qui pendouille, un téton brun distendu comme un trayon de vache, une hanche nue, une jambe nue, la hanche exhibant un bleu de la taille d'un tournesol. La peau intacte est grisâtre, on dirait un pilon de volaille plumé et cru. La femme est vêtue d'une espèce de chemise de nuit ou de tenue passe-partout. Odeur de vomi. Urine, boisson, vomi.

Alice Murno - Amie de ma jeunesse, Meneseteung
(prix Nobel 2013)