13 janvier 2011

Second manifeste du surréalisme.

Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. Or c'est en vain qu'on chercherait à l'activité surréaliste un autre mobile que l'espoir de détermination de ce point. On voit assez par là combien il serait absurde de lui prêter un sens uniquement destructeur, ou constructeur : le point dont il est question est a fortiori celui où la construction et la destruction cessent de pouvoir être brandies l'une contre l'autre.

[...] il importe de savoir à quelle sorte de vertus morales le surréalisme fait exactement appel puisque aussi bien il plonge ses racines dans la vie, et, non sans doute par hasard, dans la vie de ce temps, dès lors que je recharge cette vie d'anecdotes comme le ciel, le bruit d'une montre, le froid, un malaise, c'est-à-dire que je me reprends à en parler d'une manière vulgaire. Penser ces choses, tenir à un barreau quelconque de cette échelle dégradée, nul n'en est quitte à moins d'avoir franchi la dernière étape de l'ascétisme. C'est même du bouillonnement écœurant de ces représentations vides de sens que passe naît et s'entretient le désir de passer outre à l'insuffisante, à l'absurde distinction du beau et du laid, du vrai et du faux, du bien et du mal. Et, comme c'est du degré de résistance que cette idée de choix rencontre que dépend l'envol plus ou moins sûr de l'esprit vers un monde enfin habitable, on conçoit que le surréalisme n'ait pas craint de se faire un dogme de la révolte absolue, de l'insoumission totale, du sabotage de règle, et qu'il n'attende encore rien que de la violence.

André Breton - Second Manifeste du surréalisme