23 janvier 2011

C'est la tristesse qui fait écrire.

   C'était comme dans les films. Deux demi-douzaines d'hommes noirs criaient, fumaient et buvaient à l'arrière du bus. Trois personnes gênées par le boucan étaient assises près du chauffeur : une mère quarantenaire avec une poussette rouge contenant un bébé qui geignait de temps à autres, une dame sereine ornée d'un regard alarmé ; un homme, le bonnet sur les yeux, était debout, sur l'endroit prévu pour les fauteuils roulants. Une jeune fille était assise un peu plus loin, avec un bouquin quelconque dans les mains : c'était moi. L'odeur de marijuana lui titillait les narines, elle n'arrivait pas à se concentrer sur sa lecture car un des gars avait une belle voix de présentateur radio, et il en usait et abusait avec grand bruit. A un arrêt, une femme aux longs cheveux châtains est rentrée, et, déterminée est venue s'asseoir sur la rangée de sièges qui était collée à celle des garçons de l'arrière. Durant tout le trajet sur son visage il était marqué qu'elle le regrettait amèrement. Et moi je lisais une phrase par minute car il n'y avait rien de plus magique que d'écouter la conversation qui résonnait dans tout le bus et qui ressemblait horriblement à n'importe quel dialogue d'un film de gangsters américain. Le groupe avait choisi un des leurs pour bouc-émissaire et avait commencé à le traiter de pédé sous prétexte qu'il n'aimait pas je ne sais plus quel rappeur. Et puis, ça a commencé à parler rap : on alluma du Snoop Dog sur un portable qui, à l'entendre, n'était pas fait pour servir d'enceinte...
   Je suis sortie du bus au même arrêt qu'eux, en plein centre-ville, et j'ai attendu le tramway à coté d'un groupe de gars bourrés qui n'arrivaient à marcher droit que lorsque passait une fourgonnette de flics. D'autres gars draguaient deux copines, visiblement pas très enchantées de faire la connaissance d'énièmes mâles lourds. Elles étaient habillées de gilets de coton épais, de mini-jupes et de collants, pas d'écharpe et des ballerines en faux cuir. Dehors, il faisait au moins zéro degrés. 

C'était comme dans les films, à cause de l'alcool. Au lieu de le calmer, le fait de vomir l'a rendu encore plus agressif et paranoïaque. L'homme, tout en crachant dans la cuvette des WC, était en train de reprocher mille choses à sa partenaire, qui l'aidait à vomir. La femme, indignée et blessée, sortit en courant des toilettes et tomba pleurante de rage sur leur lit. Puis il vint la rejoindre à moitié pour la consoler, à moitié pour lui crier encore dessus. Une pluie d'insultes, de meubles renversés, de claques et de vieilles disputes s'abattaient comme par miracle sur le couple, qui explosait, elle de l'intérieur, lui de l'extérieur. Alors il sortit de la chambre, et chaque mur du couloir lui servit de poire de boxe. Je pleurais car je n'avais pas assez de forces pour le retenir. C'est Charles et Giulia qui l'immobilisèrent tant bien que mal. J'ai entendu des envies de partir, des envies de suicides, des envies de meurtre sortir de sa bouche, des larmes tombaient de ses joues et s'écrasaient sur le sol, Dabou venait les lécher.
   Le matin, son réveil sonna deux, trois, quatre fois mais son corps gisant à mes cotés était trop endormi pour l'entendre. Je me réveillai vers midi, pour pleurer et me rendormis jusqu'à quinze heures, heure à laquelle il me prit dans ses bras en chuchotant des pardons qui n'avaient plus aucun intérêt.