23 juin 2010

Virée nocturne.

   Nous avons dix-huit ans, et nous ne serons plus jamais heureux. Je l'ai lu dans ses yeux, à la clarté de la lune; il y a trop de maux qu'on a subi avant l'heure, trop de choses qu'on a à se reprocher, trop de peines dont on ne peut plus se débarrasser, trop de gens qui gisent dans nos têtes. On ne vivra plus que sous le signe du regret, en souriant tristement entre deux phrases qui sonnent vide. On criera dans nos têtes à s'en boucher les tympans de l'intérieur, pour ne plus entendre la vérité, qui n'existera même plus. Il n'y aura que la nuit, notre fidèle âme-sœur, la seule qui nous laissera sa peau pour que nous la griffions et la mordions avec toute la rage coincée entre les côtes. On courra sur ses tétons, on lui fera l'amour comme à une catin croisée dans une ruelle, on lui fera la fête, on lui contera nos malheurs, on rira avec elle autour d'un pack de bière, on fumera clope sur clope et on s'en servira comme cendrier, de cette belle nuit pourrie dès le crépuscule par toutes les choses que nous cachons dans le silence. On s'adressera à la lune comme à une vieille amie, on se tuera à rire pour rien, entre copains, tout seuls, car on a toujours été seul face à nous-mêmes. Et lorsque le tête à tête sera insupportable, on allumera la lumière, ou une dernière cigarette avant de se coucher pour s'endormir lâchement, sans avoir fait un seul pas en avant pour sortir de la flaque de crasse immense qui nous noie dans sa saleté un peu plus chaque jour.
   Et on fera de beaux rêves non mérités, comme des enfants, car le marchand de sable se sera trompé de destinataire.