28 juin 2010

Une nuit d'été.

   Et on se tuera un peu plus chaque jour. Je ne sais pas qui est ce « on », si c'est toi, si c'est moi, si c'est nous, si c'est encore d'autres. L'éloge de l'inconstance trône sur mon bureau comme si la vie se résumait à la fidélité, à la prouesse, ou aux chagrins. On se dit franc, mais on se charge de démontrer incessamment le contraire. Je ne sais plus quelle heure il était hier à la même heure car c'était déjà il y a plus de vingt-quatre heures. Dis moi seulement si je suis seule à sentir l'odeur du sang caillé qui stagne quelque part entre le coude et le poignet; tu entends la valse du vent, à la fenêtre ? Non, ne dis rien, ne réponds pas, essaie de ne pas trop m'engloutir, de ne pas trop m'aimer, il n'est pas encore minuit, je suis pudique avant que la lune ne se lève, tu le sais bien. Chaque seconde a le temps de recueillir deux ou trois battements de cœur, car on s'étouffe, pas avec la chaleur mais avec nos cicatrices, nos oublis, nos souvenirs, foutues bribes du passé qu'on n'arrive pas à jeter convenablement en buvant une gorgée de vodka de trop. Je devrais en ce moment même être d'accord avec Molière, mais au diable Molière, au diable le théâtre, la poésie, tous les poèmes qu'on m'a écrit, tous ceux qu'on a écrit aux autres. Que valent les mots, les baisers, les larmes, contre un peu d'air frais ? Que vaut ce texte, ces phrases, ces lignes droites, parallèles, contre un seconde de répit, un silence absolu, un vide dans le crane, juste le temps de quelques notes de musique. Là, on s'en foutrait du temps, de la musique, et les secondes, qu'elles soient deux ou mille, nous paraitraient infiniment plus longues et plus gouteuses, on boirait du café froid, du rhum chaud, ça ne changerait rien puisque noter palais serait pétrifié, on serait juste assoupi pas la tiédeur d'un liquide qu'on prendrait pour la matrice. On ne se dirait jamais « quelle heure est-il ? » on rirait en dormant, on chanterait en écrivant. On n'écrirait qu'avec de l'encre invisible, avec nos larmes, mais puisqu'il n'y aurait plus de larmes, il n'y aurait plus de mots, pas de salive, pas de bruits, mais aussi pas de silences, car qu'est-ce que le silence quand la parole n'existe pas ? La musique serait bruyamment douce, puisqu'elle ne serait pas, et ton corps, collé au mien ne me tiendrait ni chaud ni froid, et on ne sentirait que nos souffles sur la peau, les souffles frais venant de nos cranes vides, vides de pensées, vides de tout, vides de nous-mêmes. On se dirait peut-être enfin tout ce qu'on ne devrait pas se dire : on resterait silencieux, souriants.