27 juin 2010

Les larmes aux yeux.

   Si tu savais comme parfois je n'ai plus envie d'être au courant de ton existence, comme j'ai envie de te faire disparaitre de ma tête d'un coup de baguette magique, comme j'ai envie de tuer toutes les bonnes et mauvaises choses qui nous concernent... Mais je ne peux pas. Parce que dans mes tripes, dans mon cœur, dans ma tête je me souviens que nous nous sommes aimés, follement, passionnément, tendrement. Nous nous sommes collés l'un à l'autre, nous nous sommes étouffés, rongés jusqu'à la moelle en douceur et par amour, par peur de faire du mal à l'autre, par peur de se perdre. On a vécu mille baisers, mille larmes, mille chagrins et autant de sourires. On s'est chuchotés tellement de rêves au creux de l'oreille que malheureusement on a fini par y croire, l'un comme l'autre. On s'est dit je t'aime des milliers de fois, jusqu'à en perdre toute notion, on s'est soudés cœur à cœur, et il a suffi d'une nuit, d'une bière de trop, de ta conscience, pour tout cesser, pour tout détruire. A moi, il m'a fallu des nuits de larmes, pour enfin comprendre que j'aimais un Jude autre que celui avec lequel j'ai été, que j'ai aimé une perfection que j'ai voulu trouver au fond de toi, et qui n'a existé que dans ma tête. Je ne t'ai pas aimé, Jude, j'ai aimé la personne que tu m'as fait croire que tu étais, je l'ai chéri plus que tout, je pensais te connaitre par cœur mais je ne connaissais que ton double, celui que je m'étais inventée. Je ne te connaissais pas, ou si peu ! Il m'arrive toujours de pleurer de rage d'avoir tant donné, tant offert à toi, qui n'était rien de plus qu'une illusion. Je croyais que nous étions ceux qui pourront tout vaincre, j'étais la seule à y croire et je me suis tuée, cuite à feu doux, j'ai mariné dans des rêves, dans mes propres envies d'aliénée. J'ai sincèrement cru que tout resterait figé ainsi à jamais, que nos bouches - celles qui ne se sont jamais rien dites - resteraient enlacées jusqu'à ce que nos tombes voient le jour, j'ai voulu au-delà de tout te suivre comme un ombre, car tu ne m'avais montré que la couche superficielle dont tu étais tissé, la plus attirante. Tu as omis de me faire voir tout ce qui te fait mal, la mort qui te ronge les orteils, Ludovic, ton livre, les verres brisés, les larmes, le manque d'air, ces cauchemars incessants que tu faisais toutes les nuits, et puis tes sales mots, ton arrogance à toi... Je ne voulais pas le voir, mais j'aurais pu te comprendre, du moins je méritais d'être mise au courant. Tu as voulu tout faire seul, tout garder pour toi. Nous n'avons jamais formé le couple que nous voulions être, il y avait moi et mes rêves, toi et tes maux, et nous et nos corps sans âme. Aujourd'hui quand j'y repense, j'hésite entre te tuer de m'avoir tant caché ou de t'aimer encore tant étaient belles les aberrations que tu m'as offertes. Nous étions malhonnêtes l'un envers l'autre, et c'était pitoyable, car aucun de nous deux ne méritait ça. Au final nous étions incompatibles, toi trop renfermé, à tout garder pour toi, pour me préserver de mes pires cauchemars, et moi trop dans les nuages, à te voir à travers des lunettes vaporeuses : souriant, beau... et c'est tout. Je ne sais plus le sens de tous tes poèmes, tous tes textes, je n'ai jamais cherché à comprendre tes lignes au-delà de ce que je voulais. Peut-être eut-il un jour un amour sincère entre nous, mais je pense qu'on s'aimait  - se détestait - surtout nous-mêmes à travers l'autre, il nous fallait quelqu'un pour nous oublier. On a voulu former un amalgame parfait, seulement nous étions trop hétérogènes : il aurait fallu que je reste la petite conne arrogante et toi le ténébreux mystérieux qui n'arrivera jamais à finir son bouquin.
   Je te laisse partir au large sur ton voilier de bois aux mâts usés et à la coque grinçante. Ses voiles seront ton linceul. Vas naviguer sur l'océan de larmes que j'ai versées pour tes silences. Vas voler au-dessus des plus beaux coquillages, je te laisse écrire la plus belle histoire d'amour – celle que nous aurions dû avoir si seulement nous étions des enfants - sur des feuilles qui se noieront dans l'eau salée le soir où tu te tireras une balle, à quelques centaines de kilomètres des côtes, un mois de novembre, l'avant dernier de tous les mois du monde. Oublie tout, n'oublie que moi, on s'est trop tués pour vivre seuls, on s'est trop donnés pour vivre encore. On s'est trop détruit, nous ne sommes même plus un tas de poussières.